Ken Levine Interview: Explorer l’univers de BioShock Infinite

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BioShock est l’un des jeux les plus surprenants de cette génération. Il n’est pas inspiré d’un conflit de la vie réelle, d’un film ou d’une autre série de jeu mais d’un roman à succès modéré intitulé Altus Shrugged d’Ayn Rand qui présente une philosophie appelée objectivisme ou « l’égoïsme rationnel ».

Ken Levine et son équipe travaillent actuellement sur BioShock Infinite. J’ai eu la chance de rencontrer Ken et j’en ai profité pour lui poser quelques questions.

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Quel était votre principal objectif : surprendre le joueur ou conforter les fans avec des éléments connus de l’univers du jeu ?

Il suffit de jeter un coup d’œil à BioShock Infinite pour reconnaître un jeu de la série BioShock. Pourtant, bien que cela puisse sembler paradoxal, Rapture a créé la surprise parmi les joueurs : le jeu est passionnant du fait de son étrangeté. Si nous produisions un autre jeu dans l’univers de Rapture, il n’y aurait plus aucun effet de surprise. Bizarrement, il a fallu transformer BioShock pour rester fidèle à l’esprit BioShock, ou du moins au principe d’imprévu qui constitue les fondements de la série.

L’essentiel, pour BioShock Infinite, était de retrouver les racines du premier opus, et nous, Nate, Shaun, Steve et moi, faisons partie de ces racines, ainsi que tout le reste de l’équipe. Pour ce qui est du jeu, cela s’applique à la profondeur et au niveau de détail de l’univers, aux armes, à la liberté des combats et au système d’évolution des personnages, que nous vous dévoilerons plus tard.

Je n’exclus pas l’éventualité de revenir à l’univers de Rapture, mais il faudrait que cela se fasse de manière novatrice.

Quel est votre passage préféré du premier BioShock ?

En tant que scénariste et directeur de la création, les deux séquences de BioShock qui comptent le plus pour moi sont la descente vers Rapture, au début du jeu, et la rencontre avec Andrew Ryan. Pour cette dernière, nous avons pris un gros risque car il s’agit d’un affrontement avec un boss sans vraiment en être un : mais ce passage est essentiel pour la progression de l’intrigue et il ne peut avoir qu’une seule issue. Nous sommes fiers du résultat, d’autant plus que c’était un pari risqué.

Je pense que les développeurs sous-estiment les joueurs : ils partent du principe que ces derniers ne réclament que des expériences explosives et des passages qui prennent aux tripes. Nous, nous souhaitons également stimuler leur intellect. Cette scène a eu un impact retentissant, ce qui prouve que les joueurs ont des goûts plus variés que certains ne le soupçonnent.

Lorsque le joueur doit choisir entre protéger et tuer – je pense ici aux Petites Sœurs de BioShock, que l’on peut sauver ou récolter – pensez-vous qu’il soit naturellement enclin à l’une ou l’autre de ces actions ?

Nous n’avons aucune donnée objective, mais j’ai une anecdote à ce sujet. Je fais un podcast intitulé Irrational Interviews et j’ai reçu un jour, à cette occasion, Guillermo Del Toro. Il m’a raconté que ses deux filles lui avaient fait une scène après l’avoir vu récolter les Petites Sœurs. J’ai le sentiment que la plupart des joueurs les sauvent : c’est à mon sens une décision qui vient du cœur, pas de la tête.

À mon avis, beaucoup de joueurs ont un comportement que l’on pourrait qualifier de “perturbateur” : certains, par exemple, sautent dans tous les sens pendant qu’un personnage leur parle. Mais cela ne m’inquiète pas outre mesure : les joueurs ont toujours fait ce qu’ils voulaient et en général, ils testent toutes les interactions offertes par un jeu. C’est pour eux une façon de se l’approprier.

Pourtant, la protection des innocents semble être un thème récurrent de la série BioShock. Est-ce un choix délibéré de la part des concepteurs ?

Je vois ce que vous voulez dire : les Protecteurs et les Petites Sœurs correspondent en effet à ce thème. Dans BioShock Infinite, je tiens à souligner que le joueur n’escorte pas Elizabeth du début à la fin : elle sait se défendre et joue plutôt le rôle de partenaire. Cela dit, elle compte sur vous lors des combats car elle n’a pas votre expérience. Elle ne s’est jamais battue, alors que Booker a un passé tumultueux et de nombreux combats à son actif.

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Se protéger les uns les autres, voilà un noble concept : dans un jeu, cela peut créer des relations magnifiques. Rappelez-vous le moment où vous prenez la main de Yorda pour la première fois, dans Ico. Dans la série BioShock, nous explorons la relation protecteur/protégé dans ses aspects les plus nobles comme les plus vils. Les Protecteurs veillent sur les Petites Sœurs, mais ils les exploitent aussi, à leur manière, en les obligeant à récolter de l’ADAM. Dans BioShock Infinite, Elizabeth est enfermée dans une tour avec le Songbird lorsque vous la trouvez : c’est à la fois son compagnon et son geôlier.

Ce sont les relations ambigües de ce type qui suscitent le plus d’émotions.

Lorsque vous devez faire un choix privilégiant le scénario ou le gameplay au cours de la conception du jeu, quel est l’aspect qui l’emporte le plus souvent ?

On ne peut pas se permettre de sacrifier l’un ou l’autre de ses aspects. Au début du projet BioShock Infinite, nous avons été confrontés à un dilemme à propos du personnage d’Elizabeth. Il s’agissait de lui trouver des pouvoirs crédibles d’un point de vue narratif et parfaitement intégrés au gameplay. Nous avions décidé qu’elle serait très puissante, sans trop avoir réfléchi à la nature de ses pouvoirs. Il n’a pas été facile de faire correspondre ses actes d’une scène à l’autre au rôle qu’elle joue dans l’histoire globale du jeu. En général, nous ne tranchons pas : nous nous livrons à des ajustements des deux côtés pour arriver à une certaine cohérence, ou nous nous débarrassons de certains éléments si cela s’avère impossible.

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BioShock est célèbre car il s’inspire de La Grève, de Ayn Rand. BioShock Infinite a-t-il lui aussi une source d’inspiration philosophique ou littéraire ?

J’ai lu beaucoup de livres d’histoire et je me suis penché sur la fin du XIXe siècle, notamment grâce au livre Le Diable dans la ville blanche, d’Erik Larson, qui a pour toile de fond l’Exposition universelle de 1893. Je trouve que c’est l’époque moderne qui a connu le plus de bouleversements et d’innovations technologiques : radio, cinéma, électricité, voitures, production de masse en général. En parallèle, cette époque a été marquée par de grands mouvements sociaux (droit de vote, mouvements travaillistes, campagnes pour les droits civils) : c’était un incroyable souffle de liberté, précurseur des guerres d’indépendance des colonies.

Prenez les progrès de la science : Heisenberg, Einstein et Max Planck étaient en train de lever le voile sur un univers bien plus complexe qu’on ne l’aurait soupçonné. D’ailleurs, nous n’avons toujours pas mis à jour tout ce qu’impliquaient leurs découvertes.

Dans le premier BioShock, nous nous sommes inspirés de Crick et Watson, les pères de la génétique. BioShock Infinite est davantage tourné vers le monde de la physique, par le biais du personnage d’Elizabeth, capable de manipuler son univers. Nous nous inspirons systématiquement des innovations technologiques, scientifiques, sociales et culturelles de l’époque ciblée pour tenter de les intégrer à nos scénarios.

À l’origine, le jeu devait mettre en scène une lutte entre un mouvement prônant la technologie et un mouvement luddite, mais cela n’a pas fonctionné : dans les faits, les luddites n’ont jamais réussi à imposer complètement leurs idées, si bien qu’ils n’incarnaient pas une source d’inspiration suffisamment riche.

Nous avons finalement abouti à un conflit entre les Fondateurs, le groupe ultranationaliste qui tient Columbia sous sa coupe, et le Vox Populi, un mouvement travailliste international qui s’insurge contre le pouvoir établi et chasse les riches de leurs quartiers.

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Le rapport de force sous-jacent (dans le jeu comme, peut-être, à notre époque) oppose une gauche anticapitaliste et internationaliste à une droite qui prône un nationalisme exacerbé. Le jeu ne prend absolument aucune position politique et pose plutôt des questions ouvertes ; il s’attache à illustrer les extrêmes, rien de plus.

Il est toujours problématique de rester fidèle à une idéologie sans regarder la réalité en face, comme peut en témoigner Andrew Ryan : celui qui reste le nez dans ses livres au lieu de regarder autour de lui va au devant de graves ennuis.

Contrairement aux Chrosômes de BioShock, qui étaient des créatures démentes et presque bestiales, les ennemis de BioShock Infinite semblent plus lucides. Cela a-t-il une incidence sur le jeu ?

Vous allez découvrir une grande variété d’ennemis à divers stades de la folie. Dans BioShock, le joueur arrive après les événements et tente d’en reconstituer le fil ; ici, Elizabeth et Booker sont plongés dans l’action. Le Vox Populi est encore un groupuscule au début du jeu. Ce sont vos actions qui accélèrent sa croissance. Vous serez confrontés à des IA qui s’adaptent à vos agissements. Sans parler du Songbird et du Handyman, deux ennemis beaucoup plus imposants et puissants.

Comment les commandes du PlayStation Move fonctionneront-elles ?

Le studio a fini d’intégrer les commandes du Move, et elles seront encore plus précises que nous l’avions annoncé lors de l’E3. Nous attendons avec impatience l’occasion d’en faire la démonstration avec un nouvel extrait. Tout fonctionne bien mais il nous reste quelques éléments à perfectionner. Parmi toutes les manettes de détection de mouvements, le Move s’avère être le mieux adapté aux FPS : nombreux sont les jeux PlayStation à l’avoir intégré avec succès. Je peux vous dire que le gameplay des aérofrets offre des possibilités passionnantes. Mais je préfère en faire la démonstration avec de nouveaux contenus, plutôt que de ressortir une vieille démo des tiroirs.

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Quelle est votre réaction lorsqu’on vous annonce que certains joueurs ont terminé BioShock sans utiliser d’autres armes que l’Arc électrique et le fusil à pompe ?

Au tout début du projet BioShock Infinite, nous avons dessiné un plan avec axes X et Y représentant respectivement le nombre d’ennemis apparaissant lors d’un combat et la distance à laquelle ceux-ci se situent. Le premier BioShock restait niché dans un petit coin du plan : peu d’ennemis, courte distance, ce qui explique pourquoi l’Arc électrique et le fusil à pompe étaient si efficaces. BioShock Infinite sera peuplé d’ennemis plus nombreux et capable d’attaquer de beaucoup plus loin. Les combats seront ainsi bien plus variés et le joueur devra utiliser un arsenal plus riche pour s’en sortir.

Cela dit, certains joueurs tenteront peut-être de se rapprocher des ennemis les plus éloignés pour continuer à se battre à l’Arc électrique et au fusil à pompe, mais je ne pense pas qu’ils y parviennent aussi facilement. Ces armes étaient trop dévastatrices dans BioShock, nous ne cherchons pas à le nier, mais plutôt que de régler le problème en diminuant leur puissance, nous avons préféré diversifier les affrontements.

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