Un aperçu derrière le moteur de Techland.
Alors que la fin de la production de Dying Light approche, j’ai récemment pris un peu de temps avec les développeurs de Techland pour faire un tour d’horizon sur l’incroyable aventure qu’aura été le développement de ce jeu.
« J’ai promis aux membres de l’équipe que je leur chanterai un morceau de rap (ne me demandez pas pourquoi…) à l’occasion de la sortie du jeu. Je voudrais que les paroles reflètent le temps passé sur ce projet. En cherchant des souvenirs de cette période, un regret personnel (peut-être le seul) me vient à l’esprit.
Il remonte au début de la promotion du jeu, lorsque j’ai dit, lors d’une interview, que je n’appréciais pas forcément que les journalistes comparent le jeu à un « Mirror’s Edge du pauvre ». Hors contexte, on peut croire que je n’ai aucune estime pour Mirror’s Edge, et cela a été interprété de la sorte par certains sites spécialisés et quelques commentaires. Je dois avouer que ce tapage m’a un peu blasé. Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire !
Ce que j’ai voulu expliquer, c’est que Dying Light est un jeu très complexe et que tout ce que je souhaitais était une meilleure description, plus précise. J’aurais dû me douter que ça m’attirerait les foudres des journalistes. Après tout, j’ai moi-même pratiqué ce métier pendant plus de dix ans, je comprends donc tout à fait que les sites raffolent d’infos et de petites phrases pour résumer un titre. Mais parfois, ils font plus de mal que de bien, et dans notre cas, présenter Dying Light comme étant un Mirror’s Edge avec des zombies était vraiment réducteur, vu l’ambition que nous nourrissons avec le jeu.
Certains diront qu’un tel résumé est excellent. Voire même flatteur. Juste après l’annonce du jeu, les gens ont commencé à décrire Dying Light comme la « rencontre de Dead Island et Mirror’s Edge ». D’un côté, on a un des jeux de zombies les plus vendus de l’histoire, et de l’autre un des rares titres véritablement originaux de la précédente génération élevé au rang de classique.
Dead Island a prouvé que la formule du hack’n’slash de zombies à la première personne en monde ouvert et en coop était recherchée par les joueurs. Et Mirror’s Edge a ouvert les yeux sur ce qu’il est possible de faire en terme de déplacements à la première personne. C’était un titre au design graphique atemporel couplé à l’une des protagonistes les plus charismatiques de l’histoire du jeu vidéo. J’ai été surpris qu’il ne lance pas un nouveau genre. J’aimerais voir davantage de jeux comme Mirror’s Edge : des titres courageux, visionnaires et expérimentaux. Ce sont ces jeux comme ceux-là qui font avancer le divertissement interactif.
Nous partageons cette ambition. Au début du projet, notre but était de créer un titre à la première personne dans un monde ouvert qui ferait tomber des murs (au sens propre et figuré). Nous avons essayé de créer un jeu qui vous permettrait de sortir des couloirs, de sauter par-dessus des barrières, de grimper sur le toit des bâtiments pour voir ce qu’il y a de l’autre côté.
Pour y parvenir, nous avons opté pour une approche similaire à celle de Mirror’s Edge : nous avons placé des éléments interactifs à la main, des “prises” sur les bords des toits et des murs pour que le joueur puisse s’y accrocher et les escalader.
Au début, il y en avait des centaines, puis des milliers et après quelques semaines de travail, on avait environ 50 000 prises avec lesquelles le joueur pouvait interagir. Ce système avait ses avantages : nous savions toujours où le joueur se trouverait après avoir déclenché l’animation d’escalade, mais il avait également ses limites. Le joueur ne pourrait approcher ces objets qu’à partir d’un certain angle, et c’était un véritable calvaire de suivre tous ces objets et de s’assurer qu’une modification du level design n’en laissait pas un d’entre eux flotter en l’air.
Mais avant tout, nous n’étions pas satisfaits de notre système, dans la mesure où chaque fois que l’on ajoutait une de ces “prises”, nous voyions au moins deux ou trois endroits où nous souhaiterions placer la suivante. Notre soif de liberté de mouvements grandissait, mais notre approche ne nous permettait pas de l’étancher.
Nous devions donc tenter autre chose. Nos programmeurs de gameplay ont suggéré qu’il était possible de réaliser une analyse en temps réel de la zone autour du joueur pour déterminer quelles actions il pourrait effectuer, comme escalader, sauter, glisser ou courir sur un mur. Si ce même système pouvait ensuite analyser la géométrie des environs, les paramètres de joueur (comme sa vitesse et sa position) et les animations potentielles pour sélectionner la meilleure action possible à la volée, alors nous aurions atteint notre objectif. Malheureusement, c’était le cas typique du “plus facile à dire qu’à faire”.
Même si nous savions, dès le début, que cette nouvelle idée, surnommée Natural Movement, avait un potentiel bien supérieur, l’intégrer nous aura donné de sacrées migraines.
Les level designers se sont rendus compte qu’avec ce nouveau système, le joueur pouvait atteindre des endroits jusque là inaccessibles et qu’il pouvait également choisir son chemin dans l’environnement. Les scripts et designs qu’ils avaient programmés passaient à la trappe et ils ont dû recréer toute l’histoire principale et les quêtes secondaires de toutes pièces, sans oublier que le joueur peut se rendre d’un point A à un point B de plusieurs manières, et qu’il peut approcher ses objectifs (point C) selon plusieurs angles. C’est un jeu en monde ouvert après tout.
Les animateurs ont découvert que sans contrôle strict sur les éléments auxquels le joueur peut s’accrocher ou grimper, toutes les animations qu’ils avaient créées avaient tendance à traverser les objets (phénomène de clipping). Nous venions d’ouvrir une Boîte de Pandore des bugs qu’il fallait à présent prendre en compte.
Ils ont également dû corriger des problèmes plus inhabituels comme la nausée due aux déplacements dont certains joueurs souffraient. Nous avons découvert que le problème était assez facile à identifier. Le cerveau du joueur voit un mouvement continu, mais son oreille interne n’en n’enregistre aucun. C’était bien plus compliqué à corriger, ceci dit. Nous avons testé plusieurs paramètres de champ de vision et de saturation de couleurs. Nous avons également essayé des dizaines de paramètres pour le mouvement de la caméra et il a fallu travailler avec des algorithmes d’interpolation pour plusieurs situations, afin de s’assurer que la caméra (les yeux du joueur en somme) se déplace naturellement et en douceur.
Les gars de l’IA ont cherché de nouvelles méthodes pour insérer les ennemis, pour que le joueur, qui peut en gros se trouver n’importe où dans le niveau, ne voie jamais arriver un zombie de nulle part.
Et nos gars travaillant sur le moteur – et c’est là où ça se complique, dans la mesure où je comprends la moitié de ce qu’ils racontent – ont été obligés d’appliquer un système de mise en tampon à la géométrie des niveaux autour du joueur et d’optimiser un maximum les algorithmes de traçage de géométrie pour que le tout soit aussi fluide que possible.
Et pour être franc, ce n’est que la partie visible de l’iceberg des problèmes et défis rencontrés qu’il nous a fallu surmonter pour atteindre le stade où nous en sommes aujourd’hui. Même si Mirror’s Edge a été une inspiration clé, copier leur système ne pouvait tout simplement pas fonctionner pour nous. Avec du recul, j’aurais aimé que ce soit si simple.
Mais heureusement, toutes les heures passées à développer Dying Light en valaient la peine à 100 %. Je sais que la communauté s’attend à ce que les développeurs restent humbles, et que l’une des choses que j’ai apprises dans cette industrie est qu’il vaut mieux promettre moins et livrer plus, que le contraire.
Mais je suis très enthousiaste à propos de Dying Light, et j’ai hâte que les joueurs mettent la main sur le produit final. Je suis extrêmement fier, parce que je sais que notre équipe a réalisé un jeu et un système de mouvement qui ouvrira bien des yeux. Je suis persuadé que nous avons au moins une chance de faire évoluer le genre. Je suis impatient que vous voyiez le jeu en action et de découvrir ce que vous pensez. »
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