Découvrez la musique du jeu et le processus créatif suivi par le compositeur
Nous ne sommes qu’à quelques semaines de la sortie de Returnal. Aujourd’hui, nous voulons vous faire découvrir le son d’Atropos avec la première piste du jeu, qui porte un titre de circonstance vu ce qui arrive à Selene : Crash. Comme le reste de la bande originale, c’est une création de Bobby Krlic. Le compositeur anglais a suivi jusqu’à présent une carrière brillante. Tout en jouant sous le nom de scène The Haxan Cloak, Krlic a composé la BO du film d’horreur Midsommar en 2019.
Dans Returnal, Krlic a créé un paysage sonore inquiétant et rugueux qui correspond parfaitement à la planète et à la tenace exploratrice qui se retrouve prisonnière d’un mystère cosmique. Le 30 avril, l’album Returnal sera disponible en même temps que le jeu dans l’édition numérique spéciale. Vous pourrez l’écouter sur les plateformes de diffusion le 7 mai. Cependant, plutôt que de répliquer la musique du jeu, l’album propose un ensemble de mixages créés spécialement par Krlic pour ce format.
Vous pouvez écouter la piste The Crash ci-dessous (et sur d’autres sources ici), puis lire notre entretien avec le compositeur qui nous explique le processus créatif qui a été le sien pendant la composition de la musique du jeu. Si vous préférez écouter l’entretien, il sera audible dans le podcast de la PlayStation, qui sera mis en ligne un peu plus tard aujourd’hui.
Quand avez-vous rejoint ce projet ?
Pour autant que je me souvienne, Sony m’a contacté en juillet 2019. J’ai commencé à produire des démos dès août/septembre, après ces conversations initiales.
Comment vous a-t-on présenté le jeu et le paysage sonore recherché ?
On m’a envoyé des documents. Une rapide description du scénario, les rendus des personnages et des niveaux, ce genre de choses. On n’est pas allé très loin dans l’exploration du jeu. Il s’agissait surtout de transmettre un aperçu du jeu et de voir si cela suscitait un intérêt commun.
Les démos ont-elles été jugées dans le ton, de sorte que vous avez seulement peaufiné à partir de là ?
Exactement. Nous avons échangé pendant deux mois. J’envoyais des essais, on en discutait et on extrapolait des éléments à partir de là, on découvrait ce qu’on voulait et ce qu’on ne voulait pas des deux côtés. On essayait de trouver un son d’horreur de science-fiction qui, nous l’espérions, renouvellerait le genre.
Vous aviez déjà l’expérience de l’horreur, mais comment créer un monde extraterrestre unique ? Quel a été votre point de départ ?
Ma méthode est la même dans la plupart de mes projets de composition. Je rassemble autant de matériau que possible, je demande autant d’informations que les gens veulent bien m’en donner et je me plonge dans tout ça. Je crée sans penser à rien de trop spécifique, j’essaie de vraiment m’imprégner de ce que le monde doit être. J’essaie de me plonger dans ce monde, j’appuie sur la touche d’enregistrement et je joue longtemps, jusqu’à ce que j’obtienne quelque chose qui me transmet la même impression que le matériau de base.
Composez-vous vos thèmes à partir du monde lui-même ? Je veux dire, est-ce que c’est lié aux personnages, aux créatures ? Ou plutôt à l’action au fur et à mesure qu’elle se déroule ?
La musique est construite dans le jeu, d’une certaine manière. Il y a un thème principal pour chaque environnement, et j’extrapole différentes musiques de combat, ou des musiques pour les événements dans cet environnement. Ça s’amplifie ou ça s’apaise. Mais pour moi, c’est important de penser avant tout d’une façon globale, de toujours me rappeler le monde où nous sommes, et de me focaliser ensuite sur chaque biome.
Dans un film, on doit composer en fonction de la scène. On suit son rythme, la manière dont elle est montée. Dans un jeu, le rythme dépend de ce que le joueur est en train de faire. Quels sont les défis que cela entraîne pour le compositeur ?
C’est un défi, oui, par certains côtés. Mais cela m’a fait découvrir quelque chose que j’ai vraiment aimé, à savoir la nécessité de saisir une émotion et de rendre cette émotion du mieux possible. Vous devez pouvoir l’allonger, la suspendre, parce que le joueur a la liberté de faire ce qu’il veut. Il peut rester immergé dans ce moment beaucoup plus longtemps que vous ne pourriez l’imaginer. Alors on se demande : comment peut-on travailler sous cet angle ? Comment peut-on faire durer ce moment ? Cela, sans cesser d’onduler, d’osciller, de bouger, d’être intéressant ? Donc oui, le but est d’analyser l’émotion clé avec une loupe et de découvrir comment continuer à faire bouger tout cela. Et je trouve que c’est vraiment passionnant.
Quelles sont ces émotions-clés, pour vous, dans la bande originale et dans le jeu ?
Ça parle de la détermination d’une personne qui veut comprendre le mystère qui l’entoure (je n’en dis pas plus pour ne pas gâcher la surprise aux joueurs). Il y a tant de choses à évoquer. La détermination. La tristesse, la confusion. La menace permanente et l’horreur qui ne disparaît jamais complètement de tout le jeu. Il s’agit de découvrir comment toutes ces choses se complètent. C’est comme un puzzle liquide, tout s’imbrique et pourtant tout change continuellement.
Bien que ce soit un jeu de tir rapide, la musique n’est jamais vraiment dans la nervosité. C’est toujours l’idée de menace permanente qui perdure. Pensez-vous que cela convient au jeu ?
Oui, je le crois. Il s’agit de la personnalité de Selene. Elle est exceptionnellement forte, mentalement et physiquement. Elle n’a pas besoin que la musique lui confère cette puissance. Sa force vient de ses actions, de ce qu’elle fait. Elle ne s’arrêtera pas tant qu’elle n’aura pas les réponses qu’elle cherche. J’ai donc pensé qu’il était plus important de souligner la menace qui l’entoure. Cela rend l’atmosphère terrifiante, mais, d’un certain point de vue, ça magnifie cette force. La planète n’abandonne pas, et elle non plus.
Avez-vous créé un thème pour Selene ?
Oui. Je ne veux pas en dire trop, ce serait un énorme divulgâchage. Disons qu’il se passe quelque chose, à la fin du jeu, et que cela correspond à une progression harmonique particulière. C’est le point essentiel sur lequel nous nous sommes concentrés quand nous avons commencé à réfléchir à ce moment de la musique. Et cet élément, en quelque sorte, se retrouve dans de nombreuses musiques du jeu. La fin devrait être une révélation de ce point de vue.
Vous avez mentionné la création d’une base pour cet univers. Est-ce que vous utilisez les mêmes instruments dans tous les projets ? Est-ce que vous testez de nouvelles techniques, de nouveaux instruments ?
J’ai quelques bases récurrentes, mais j’essaie quelque chose de neuf dans chaque projet, quelque chose de différent avec quoi jouer. Ici, j’ai fini par construire un assez gros rack de synthétiseurs modulaires. J’ai fabriqué ça rien que pour le jeu. Et j’ai travaillé avec des développeurs de logiciels sur des échantillonneurs personnalisés pour pouvoir créer mes propres sons, les utiliser dans un logiciel personnel avec des effets et des plug-ins inédits, etc. C’est donc vraiment du sur-mesure.
Le « gros rack de synthétiseurs modulaires », c’était prévu au moment de commencer à travailler sur ce projet ?
Bah, on se cherche toujours des excuses. [rires]. Il faisait à peine le quart de la taille actuelle au début. C’est très excitant d’utiliser des choses d’une manière qui n’était pas prévue. Et je crois que nous avons créé des sons vraiment intéressants que je n’ai encore jamais entendus dans un jeu vidéo.
C’est ça qui vous intéresse, d’un point de vue créatif ?
Absolument. C’est tout à fait ça. On se demande souvent pourquoi on a choisi cette carrière. Et je pense que l’une des bonnes raisons de faire ce métier, c’est d’avoir une voix distincte pour mener sa conversation musicale.
Et ce projet, tout en ayant un style unique, est typique de votre travail ?
Oui. Et c’était très important pour moi. Ça l’est toujours, quel que soit le projet, mais ça l’était particulièrement cette fois-ci. J’espère que le résultat surprendra les joueurs et leur plaira.
Parlons de l’album. Il va paraître, mais ce ne seront pas vraiment les pistes du jeu. Ce sera votre propre… est-ce que « interprétation » est un mot trop fort ? Je préfère vous laisser expliquer, ce sera plus clair.
Je fais toujours très attention à la manière dont mes bandes originales sont publiées. Pour celle-là, j’avais écrit tellement de musique… Je voulais rendre l’audition de l’album aussi passionnante que possible.
Quand je constitue un album, je m’assure que toute la narration présente dans le matériau source apparaît dans la sélection. Dans ce jeu, il y a tant de matériau narratif… Il y a des thèmes que je voulais reprendre. Je voulais prendre des morceaux de musique décrivant le voyage que fait Selene, et utiliser des éléments audio du jeu. Je voulais que les gens qui écoutent l’album n’aient pas besoin de jouer au jeu pour vivre la même expérience de mystère, d’exploration, de récompense. Ça consistait à prendre autant d’éléments que possible et à les tisser ensemble d’une manière autre que dans le jeu, tout en conservant, je l’espère, une expérience sonore tout aussi intéressante.
The Crash est la piste qui est rendue publique avant la sortie de l’album complet. Pouvez-vous nous parler de ce morceau ? Ce n’est pas l’une des pistes les plus retenues, mais elle n’est pas pour autant du degré d’intensité de certaines autres.
Pour moi, elle résume l’atmosphère du jeu. Elle résume succinctement le scénario, les personnages de Selene et de la planète. Elle joue aussi sur la tonalité de tout ce qui est présent dans la bande originale : le processing personnalisé, les cordes, les bois, les percussions, les distorsions… tout ce qui est présent dans Returnal peut se retrouver dans ce morceau. Donc, pour moi, c’était la piste idéale pour présenter la bande originale.
Vous avez publié des albums, participé à des collaborations musicales. Aviez-vous envie de travailler sur une bande originale de jeu vidéo ?
Oui. J’ai toujours été fan de jeux vidéo et j’ai toujours aimé la musique de jeu vidéo. Je pense que ça date de la sortie de Quake. J’ai alors réalisé que je pouvais mettre le CD dans le lecteur et profiter de la musique de Trent Reznor. J’aimais Nine Inch Nails à l’époque. Cette bande originale me paraissait totalement folle. Je continue à penser que personne n’a fait de musique de jeu vidéo comparable. Je trouvais ça très excitant, et je n’ai pas changé d’avis. Je pense que c’est le médium le plus intéressant actuellement.
Comment jugez-vous Returnal par rapport au reste de votre travail ?
C’est une question intéressante. C’est bizarre, parce que je me tourne rarement vers ma carrière passée. Ça ne m’arrive pas souvent de revenir en arrière pour écouter quelque chose. C’est ce que j’ai fait avec [cette bande originale], d’une manière totalement narcissique. Et je crois que c’est un genre de musique que j’avais envie de faire depuis longtemps. Un type de musique pour laquelle je n’avais pas d’usage dans mes autres activités, une musique que je n’ai pas écrite juste pour moi-même. Et puis j’ai construit des choses, des synthétiseurs personnalisés, j’ai utilisé des thèmes que j’ai ensuite désossés jusqu’à leur plus simple expression avant de les rebâtir… Il y a tant d’éléments musicaux que j’ai trouvés vraiment stimulants, et cela a donné quelque chose de vraiment neuf à mes oreilles par rapport à ce que j’ai fait jusque-là. Du coup, j’ai conservé tout du long mon enthousiasme et mon intérêt pour le projet, ce qui est toujours génial. On ne peut pas espérer mieux quand on accepte un travail.
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