Le concepteur des combats explique la façon dont le studio est parvenu à créer la première confrontation majeure du jeu
Bonjour ! Je m’appelle Denny Yeh. Je suis concepteur des combats senior au sein de Sony Santa Monica Studio. Aujourd’hui, j’aimerais vous faire découvrir les coulisses du jeu en vous parlant un peu du développement d’un des combats de boss majeurs du nouveau God of War.
Attention à ceux qui n’auraient pas encore joué au jeu : il y aura ci-dessous des SPOILERS concernant un certain combat de boss. Si vous préférez le découvrir par vous-même, passez votre chemin (et foncez acheter notre jeu) ! Sinon, continuez à lire pour plonger dans l’aventure.
La série des God of War nous a toujours offert des premiers combats de boss spectaculaires : l’Hydre, le Colosse de Rhodes ou encore Poséidon et son poney des mers, pour ne citer qu’eux. Au cours de ces combats, la caméra est souvent très reculée afin d’augmenter l’impression de grandeur. C’est parce que tous ces combats avaient un GROS point en commun : Kratos affrontait un ennemi gigantesque. Vous avez saisi ? Un GROS point en commun, parce qu’ils sont énormes. Et j’en ai d’autres en réserve !
Nous savions qu’il nous faudrait créer quelque chose de tout aussi épique pour le nouveau God of War, alors quand nous avons décidé que le combat de boss d’introduction serait contre un humanoïde arrivant à peine à l’épaule de Kratos, nous savions que ce serait un défi de taille. Voici l’histoire (très abrégée) de la conception du combat de boss contre « l’Étranger », alias Baldur.
Comment recréer les mêmes sensations que les combats de boss titanesques des précédents jeux God of War contre un ennemi aussi petit ? Nous sommes donc partis à l’opposé de nos habitudes : nous avons rapproché la caméra !
Non, pas si près !
Voilà, parfait.
La caméra rapprochée permettrait d’accentuer l’impact de chaque coup de poing. Ce sont deux dieux qui s’affrontent, donc chacun de leurs coups devait résonner avec une puissance incroyable. Une grande partie de notre période de développement initiale a été consacrée au « ressenti » de ce combat. Nous voulions que le joueur se sente vraiment comme un dieu affrontant un autre dieu, aux dépens de son environnement.
Nous avons commencé par expérimenter avec quelques animations réalisées par notre animateur Fabian Johnston. Celles-ci ont aidé à donner le ton du combat. Nous les avons très vite intégrées au jeu, en éparpillant aux alentours de nombreux objets destructibles. Le premier prototype était destiné à répondre à quelques questions :
- À quel point pouvons-nous accentuer les réactions divines de Kratos et Baldur sans en faire trop ?
- Jusqu’où peut-on pousser la destruction de l’environnement ? Combien de rochers et d’arbres destructibles pouvons-nous encore ajouter avant que cela nuise au combat ? Sont-ils assez bénéfiques au ressenti du combat pour continuer à travailler dessus ?
- Quelle serait la taille idéale de la zone de combat pour satisfaire tous nos autres besoins ?
Comme vous pouvez le voir, c’était encore assez brouillon à ce moment. Cependant, c’était déjà amusant de contrôler Kratos face à Baldur et de découvrir toutes les réactions exagérées, manette en main. C’était particulièrement intéressant d’orienter la caméra pour envoyer valser Baldur dans les arbres et les rochers. Ce prototype initial nous a aidés à clarifier nos attentes concernant le ressenti final du combat.
Nous nous sommes également rendu compte d’un autre gros avantage à combattre un personnage plus petit comme Baldur : il était beaucoup plus amusant à tabasser. Frapper Baldur et l’envoyer voler 15 mètres plus loin était bien plus satisfaisant que d’attaquer la main d’un monstre gigantesque. Nous avons joué là-dessus en faisant en sorte que Baldur puisse utiliser la quasi-totalité des réactions que nous avons conçues, comme lorsqu’il est projeté dans les airs ou se fait repousser.
Au même moment, notre dessinateur Stephen Oakley a réalisé quelques illustrations de prévisualisation de potentielles phases du combat, inspirées des animations créées auparavant par Fabian. Ces illustrations nous ont donné une multitude d’idées supplémentaires.
Nous avions donc un grand nombre de choses sympas que nous voulions essayer d’implémenter dans le combat. J’ai ensuite créé un document conceptuel afin de planifier les passages importants du combat… Cependant, il est loin d’être aussi intéressant que les animations de Fabian ou les superbes croquis de Stephen, donc je ne le publierai pas. Mais j’ai contribué également ! Je le jure !
Une fois que nous avions un plan général en tête pour l’intégralité du combat, nous avons commencé par implémenter une simple « structure » pour chaque phase, à commencer par l’introduction, lorsque Baldur apparaît pour la première fois sur le seuil de votre porte.
Comme vous pouvez le voir ci-dessus, l’animation et la caméra ont subi de nombreuses modifications, mais nous avons gardé l’idée de départ qui était « envoyer valser Kratos à travers le toit ».
Nous avions besoin que l’introduction vous transporte de l’avant à l’arrière de la maison. La structure a servi à communiquer à l’équipe ce qui était exactement censé se dérouler au cours du combat. Cette intro fut ensuite confiée à l’équipe cinématique qui a ré-animé cette scène à la perfection pour la rendre plus… eh bien, cinématique.
Après l’introduction, le combat se déroulait en trois phases principales.
La première phase est l’introduction, qui se déroule dans l’arrière-cour de Kratos. Au cours de cette phase, Baldur n’attaque pas beaucoup. Puisqu’il s’agit du premier combat de boss du jeu, il est important d’intégrer une phase comme celle-ci pour que le joueur prenne ses marques. Cela leur permet d’utiliser Baldur comme une sorte de mannequin d’entraînement, et d’admirer ses vols planés à travers les arbres et les rochers (ce qui, comme nous l’avons déjà confirmé au cours de notre travail de prototype initial, est indéniablement amusant).
Le scénario fait que Baldur désire que Kratos l’attaque. Il encaisse volontairement les coups dans l’espoir que Kratos puisse lui faire ressentir la douleur. Il nous arrive parfois d’être chanceux, et que les objectifs de l’histoire et du gameplay se rejoignent parfaitement.
La transition entre les phases nous donne l’occasion de présenter toujours plus d’exploits divins. Il nous a fallu beaucoup de tentatives avant d’arriver à un résultat satisfaisant, puisque nous tenions à garder l’aspect « vidéo en une seule prise ». Vous n’imaginez pas à quel point il est compliqué d’amener deux personnages à un endroit spécifique lorsqu’il est impossible de les déplacer en coupant la caméra.
La raison pour laquelle Baldur fait tourner Kratos et le projette si haut est que nous devons camoufler à quel point nous faisons glisser les personnages d’un endroit à l’autre pour qu’ils puissent atterrir sur le toit. C’était d’ailleurs le raisonnement derrière de nombreuses animations de transition. La plupart d’entre elles utilisaient des virages serrés ou de lourds impacts de caméra pour camoufler les mouvements supplémentaires. Tout n’est qu’illusion !
Vous pouvez également voir que nous avons utilisé certaines illustrations de prévisualisation de Stephen en tant que références pour ce passage où Kratos utilise un arbre comme bélier. Ce combat, comme beaucoup d’autres parties de notre jeu, est un assemblage d’idées provenant de plusieurs membres du studio. En tant que concepteur, mon rôle ne consiste pas seulement à trouver des idées, mais également à filtrer la créativité incroyable provenant de chaque département, et à ne garder que les idées les plus adaptées.
Les animations de transition nous permettent de changer de scène en déplaçant le joueur à un autre endroit. Dans les combats plus longs tels que celui-ci, il est important que tous les éléments gagnent en intensité, et cela inclut l’environnement. Une autre raison plus subtile de déplacer les personnages est que cela permet de régénérer tous les arbres et les rochers qui avaient certainement été détruits dans la première zone de combat. Cela offre au joueur un tout nouveau terrain de jeu à ravager.
C’est ici que la deuxième phase se déroule. Cette phase commence par présenter la Rage spartiate, c’est pourquoi nous gardons le joueur en mode rage plus longtemps que d’ordinaire, afin qu’il se familiarise avec les commandes. Baldur devient un peu plus agressif au cours de cette phase, et le joueur doit donc se concentrer davantage sur les options défensives de Kratos une fois le mode rage terminé.
La transition vers la dernière scène illustre parfaitement le travail de notre incroyable équipe dédiée aux éléments destructibles. Pour l’anecdote, nous avions prévu que Baldur envoie une montagne à la tête de Kratos, qui la brise en deux d’un coup de poing. Cependant, nous avons dû être plus raisonnables, puisque Kratos est censé être un peu rouillé au moment de ce combat. Cependant, si à l’avenir vous voyez Kratos briser une montagne, vous saurez que c’était prévu depuis longtemps.
Nous avions également prévu que Baldur vous attaque tandis que vous escaladiez le précipice. Il vous aurait envoyé des rochers ou aurait causé des avalanches, vous forçant à esquiver sur le côté ou à sauter d’un rebord à l’autre. Malheureusement, nous avons dû renoncer à cette idée, trop ambitieuse. Cependant, en y repensant, c’était une bonne chose que nous n’ayons pas eu le temps d’inclure ce passage. En effet, ce combat de boss est tellement effréné que de rares moments plus calmes comme celui-ci sont une pause bienvenue dans l’action.
C’est au cours de la troisième phase que Baldur dévoile tout son arsenal d’attaques. Puisqu’il s’agit du premier combat de boss du jeu, nous ne voulions pas que Baldur soit trop difficile à battre. Notre principal objectif était de lui donner une impression d’intensité plus que d’en faire une réelle menace. (Si vous recherchez un véritable défi, essayez l’un de nos combats de boss contre la Valkyrie, que j’ai également réalisé. Je m’excuse d’avance !) Les attaques de Baldur sont conçues pour encourager les joueurs débutants à apprendre et utiliser différentes mécaniques de défense :
- Onde de choc tellurique : une onde de choc impossible à bloquer qui attaque en ligne droite. À esquiver sur le côté.
- Combos de coups de poing : des coups rapides qui peuvent être esquivés avec de bons réflexes, mais qu’il est plus simple de bloquer. À bloquer ou à parer.
- Saut suivi d’une charge au sol : un impact impossible à bloquer sur une vaste zone. À esquiver à l’aide d’une roulade.
- Coup de pied en zigzag : brise la garde. À parer ou à esquiver avec un timing parfait.
En plus de ses attaques, Baldur avait besoin d’un moyen de se défendre si le joueur était trop virulent. Puisque Baldur réagit à chacune de vos attaques, il est plus susceptible que les autres boss de se retrouver pris au piège dans un combo infini.
Nous avons travaillé d’arrache-pied pour nous assurer qu’il ait toujours un moyen de se dégager et de contre-attaquer. Parfois, il encaissera un coup de hache puis contre-attaquera. Il lui arrivera même d’utiliser la force de votre coup pour reculer et prendre de la distance. Ses capacités défensives ont pour but de remettre l’attaque à zéro et de forcer le joueur à repasser à l’offensive.
À l’origine, Baldur devait également être capable de vous arracher votre hache pour l’utiliser contre vous. Imaginez que vous lui lanciez votre hache, qu’il encaisse le coup, puis qu’il la retire de son corps pour vous la lancer à son tour… Quel sans-gêne ! Cependant, cela était assez difficile à réaliser… De plus, nous ne voulions pas vous retirer toute envie de lancer votre hache aussi tôt dans le jeu, c’est pourquoi c’est cette mécanique que nous avons retirée.
Chaque développement de combat de boss fait intervenir la quasi-totalité des départements. Les artistes des environnements doivent créer la zone de combat, les concepteurs audio font résonner chaque coup de poing, et les producteurs s’assurent que nous ne passions pas nos journées à regarder des vidéos de chats. Je ne pouvais partager que cet aperçu avec vous, mais le produit final est vraiment le résultat de tous nos efforts.
Merci d’avoir pris le temps de lire tout ça. J’espère que vous avez apprécié ce rapide coup d’œil en coulisse. Et j’espère également que vous apprécierez de combattre Baldur ! Il ne fait peut-être pas la taille d’une montagne et n’est pas doté d’immenses pattes de crabe, mais bon… son mulet est génial.
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