En décembre dernier, j’ai assisté au lancement de la PlayStation Vita à Tokyo ; vous l’aurez dans les mains d’ici environ un mois. J’ai également eu l’occasion de discuter avec Tokashi Sogabe, du Sony Corporate Design Centre, où ce dernier dirige l’équipe responsable du design extérieur de la console. Sogabe-san a 27 ans d’expérience chez Sony : c’est lui qui a conçu le Walkman, les ordinateurs portables Vaio, la version actuelle, plus mince, de la PS3 et bien d’autres appareils électroniques.
Nous avons évoqué l’aspect et l’ergonomie de la PS Vita, ainsi que l’éternelle rivalité opposant les designers et leur envie de créer l’objet le plus effilé et le plus compact possible, aux ingénieurs dont la mission est de bourrer au maximum cette coquille de technologies diverses.
PS.Blog : L’écran à diode électroluminescente organique de cinq pouces de la PlayStation Vita semble en impressionner plus d’un. Quel est le raisonnement derrière ce choix ?
Tokashi Sogabe : Lorsque nous avons découvert un prototype du superbe écran à diode électroluminescente utilisé sur la PS Vita, sa taille nous a presque frustrés. Il fallait faire mieux que la PSP et son écran de 4,3 pouces. Nous avons décidé d’opter pour un écran de 5 pouces quasiment dans le seul but de décupler la surprise de sa découverte.
Il est facile de tomber dans le raisonnement qui consiste à privilégier la taille de l’écran, même si c’est une erreur. Nous avons longuement débattu ce point et même envisagé un écran de 5,5 pouces comprenant l’ensemble des touches, mais cela réduisait l’ergonomie du système et cette idée fut rejetée.
PS.Blog : Les deux joysticks analogiques ont-ils fait l’objet d’un développement particulier et ont-ils posé des difficultés spécifiques ?
Tokashi Sogabe : Les ingénieurs ont planché pendant un bon moment sur les deux joysticks analogiques de la PS Vita et la conception de joysticks aussi petits s’est avérée une vraie gageure. Nous avons également élaboré un prototype doté de pavés tactiles assez similaires à ce que l’on trouve sur les ordinateurs portables, mais ce n’était pas assez nerveux pour du jeu : nous avons ainsi appris qu’incliner un joystick est une sensation dont le joueur a besoin pour se sentir en pleine possession de ses moyens.
En tant que concepteur, j’ai vécu leur création comme un formidable défi, en partie parce qu’il est beaucoup plus simple de concevoir un produit entièrement plat. Nous avons également débattu très longuement la position des deux joysticks analogiques : je n’étais pas persuadé qu’ils étaient idéalement placés du point de vue du design, mais Worldwide Studios a certifié qu’il ne fallait pas les déplacer d’un seul millimètre pour le confort de jeu et ce sont eux qui ont eu gain de cause.
PS.Blog : Comment les concepteurs et les ingénieurs s’entendent-ils pour que l’appareil soit en tous points une réussite (performances techniques, aspect, confort d’utilisation) ?
Tokashi Sogabe : C’est un conflit permanent. Et je ne parle pas uniquement de la PlayStation Vita. Pour vous donner un exemple, j’avais tablé au départ sur un système beaucoup plus mince. Le designer veut toujours créer l’appareil le plus mince possible. Mais l’ingénieur cherche, lui, à bourrer l’étui de toutes les technologies nécessaires : ils sont forcément en désaccord sur ce point.
Le designer s’efforce de dessiner un appareil bluffant d’un point de vue esthétique et l’ingénieur a pour mission de le faire fonctionner : ni l’un ni l’autre n’est prêt à faire la moindre concession.
De plus, designers et ingénieurs ne sont pas les seuls à avoir leur mot à dire. Lorsque nous avons commencé à travailler sur la PS Vita, la forme que nous avions en tête était très proche de celle du produit fini, mais la phase de test nous a permis d’essayer de nombreux designs différents, comme un système d’écran coulissant (à l’instar de la PSPgo) ou refermable. Nous avons choisi le modèle que vous connaissez à l’issue de nombreuses discussions avec les équipes de développement de Worldwide Studios.
PS.Blog : En général, qui a le dernier mot, les designers ou les ingénieurs ?
Tokashi Sogabe : Par le passé, je vous aurais répondu les designers ; du moins c’était le cas chez Sony. En fait je me souviens que, lors du développement du Walkman, j’étais arrivé un jour au bureau avec un morceau de bois : je voulais que l’appareil fasse cette taille et ait cette forme précise et c’était aux ingénieurs de se plier à mes exigences.
C’était une autre époque : Sony s’est beaucoup développée depuis. Évidemment, cette question dépend aussi de la personnalité de chacun : certains designers bornés refusent de faire la moindre concession, tandis que d’autres s’avèrent plus compréhensifs.
Pour revenir à la PS Vita, j’ai essayé de promouvoir l’idée d’un appareil le plus mince possible, mais on m’a rappelé qu’il fallait intégrer un certain nombre d’éléments, comme l’ensemble des fonctions, la puissance de traitement, l’autonomie… tout ce qui constitue le système.
Il nous arrive d’avoir des idées de design auxquelles nous tenons beaucoup mais que les ingénieurs considèrent tout de suite comme des obstacles infranchissables. J’aurais voulu que la PS Vita soit entièrement en métal, mais c’était sans compter le Wi-Fi, la 3G et l’antenne GPRS intégrés.
Donc oui, j’ai le regret de vous dire que les designers perdent certains combats, de temps à autres !
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