Découvrez comment Overwatch a commencé par la fin d'un cycle
Overwatch a commencé d’une fin. Au printemps 2013, six années de travail d’une énorme équipe de développeurs de Blizzard Entertainment sont réduites à néant. Titan, le jeu de tir en vue subjective multijoueur de masse supposé assurer l’avenir du studio est annulé, laissant sous le choc pas moins de 140 illustrateurs, concepteurs, programmeurs et ingénieurs.
“En tant que créateurs, on met toute notre âme dans ce que l’on fait et on y voit une réelle vocation,” explique Jeff Kaplan, directeur d’Overwatch et membre de l’équipe de développement de Titan.
“Et voir tout ça partir en fumée est vraiment difficile, très déstabilisant psychologiquement et émotionnellement. J’ai remis toute ma carrière en question. Alors, tout est fini ? Je ne sais plus faire de jeux ? Je décrirais ça comme un cyclone dévastateur dans la vie d’un créateur.”
Overwatch commence par une renaissance
L’intrigue du jeu suit la résurgence d’Overwatch, une organisation qui protégeait autrefois le monde d’une révolte de robots et a été dispersée après la mort de deux de ses fondateurs dans une explosion. Mais elle fait son retour pour remettre le monde au pas.
Cette intrigue, c’est exactement ce que vit alors l’équipe de conception. L’équipe de développement de Titan est séparée avec l’arrêt du jeu. Une bonne moitié de ses membres est assignée à d’autres projets Blizzard tandis que le reste se voit proposer un quitte ou double : six semaines pour concevoir un nouveau jeu. En cas d’échec, l’équipe sera dissoute. “On nous avait mis une pression énorme,” explique Kaplan, qui décide de faire les ébauches de trois jeux et de plancher deux semaines sur chacun d’eux.
La première idée est un MMO ancré dans l’univers Blizzard. La seconde est un MMO ancré dans un nouvel univers. Et la troisième, eh bien, c’est là que tout est parti en vrille.
Un jeu multi classes
Pendant la réunion sur le second concept et le fonctionnement des classes de personnages, le concepteur Geoff Goodman propose des dizaines de classes aux compétences réduites au lieu d’avoir six classes aux aptitudes multiples.
“En sortant de cette réunion, je me suis dit : c’est une idée de dingue, mais ça va être coton d’intégrer ça à un MMO,” poursuit Kaplan. Pourtant, il lui suffit de jeter un œil aux illustrations que l’artiste Arnold Tsang a produit pour Titan et de penser au fonctionnement de sa propre équipe pour qu’une idée voie le jour.
Il ne s’agit pas exactement d’un MMO au départ, mais à mesure qu’il imagine des compétences aux personnages de Tsang et rassemble des éléments de concept, les membres de l’équipe rejoignent le navire. “Notre producteur, Ray Gresko, a regardé par-dessus mon épaule et m’a dit : tu dois montrer ça à Metzen.”
Chris Metzen est à l’époque le directeur de création de Blizzard. “Il a adoré l’idée qu’il n’y avait plus de classes, mais des héros, des personnages, des gens,” explique Kaplan. “On n’avait plus la tireuse d’élite, mais Fatale, une tueuse de sang-froid utilisée par Talon pour assassiner son mari. C’était vachement plus attractif que de dire, hé, voilà le tireur d’élite, choisissez-lui un nez et la longueur des cheveux. On avait là un personnage, un être humain. Du coup, Chris a immédiatement dit oui. C’est exactement ça qu’il faut faire.”
Vue subjective ou objective ?
Dès la fin de cette même journée, l’équipe rassemble 48 idées de héros inspirés du travail de Tsang et de photos trouvées sur le net. L’équipe sait qu’elle planchera sur un jeu de tir, sans savoir encore quelle forme lui donner. Certains veulent une vue objective, histoire de bien développer les personnages.
“Mais j’ai insisté pour la vue subjective,” explique Kaplan. “J’ai le sentiment qu’on ne fait pas plus pur en termes de sensations de tir.”
Jeremy Craig relève alors le défi de caractériser les personnages. Il trouve le moyen de leur donner vie dans les menus, les poses de victoire sur l’écran de fin de manche et le Play of the Game, qui met en avant leurs aptitudes.
“D’un point de vue technique, il était plus facile pour nous de produire une grille de héros. La navigation aurait été plus rapide et nous n’avions pas besoin de charger toutes les modélisations des personnages,” poursuit Kaplan. “Mais Jeremy était tellement grisé de faire un FPS et de permettre au joueur de s’identifier aux personnages qu’il a voulu mettre le paquet.”
La conception des héros
La clé pour concevoir ces personnages est de renforcer les contrastes. Leur silhouette, leur palette de couleurs et leur animation doivent permettre au joueur de les différencier au plus fort de la bataille, alors que leur histoire, leur voix et leur personnalité (Faucheur est nerveux, Tracer est bondissante) aideront le joueur à se souvenir d’eux et à déterminer ses favoris.
L’actrice Cara Theobold, la doubleuse anglophone de Tracer, a défini son ton enjoué avec Blizzard avant même de voir le personnage. Quand elle a enfin eu la chance de la “rencontrer”, tout collait, particulièrement sa manière de se mouvoir, son dynamisme et sa rapidité, sans oublier cette petite lueur dans ses yeux.
Les différences entre les héros doivent toutefois dépasser le physique et se retrouver jusque dans leurs aptitudes. “Quand nous en étions encore au stade de la Bêta, nous pensions tous que chaque personnage devait pouvoir sprinter. Et puis nous avons réalisé que si tous les personnages avaient cette compétence, ça les privait d’une autre. Si D.Va peut sprinter, elle ne peut plus avoir les Turboréacteurs. Et c’est moins sympa. Soldat : 76 a cette aptitude parce que ça fait partie de son personnage.
Chacun son héros
Tout cela conduit à une grande variété de styles de jeu adaptée à tous les joueurs possibles. Et cette diversité s’accompagne ainsi d’une vision plus ouverte au monde que dans les autres jeux, notamment avec la parité entre personnages venus du monde entier.
“Jeremy Craig nous a aidés avec le pitch initial, puis il a pris des dessins d’Arnold et leur a donné des noms et des drapeaux,” explique Kaplan. On a donc Symmetra d’Inde, Chopper l’Australien, Pharah l’Égyptienne et Sombra du Mexique.
On retrouve aussi cette diversité dans les différentes cartes d’Overwatch, qui traversent des lieux peu communs dans les jeux vidéo, comme une cité utopique au Nigeria, une île grecque ou le sommet d’un building chinois. Et bien que les joueurs ne découvrent Overwatch qu’à travers ces cartes et ces héros, leur variété permet l’identification d’où que l’on vienne et qui que l’on soit.
Blizzard a tiré parti de tout l’espace que permet cette variété pour donner aux héros une profondeur supplémentaire à travers leur animation et leurs répliques. Bousculant toutes les conventions en termes de héros de FPS, Mei est hésitante, Soldat : 76 est épuisé et D.Va est pleine d’assurance. Et pour ceux qui aiment les trajectoires humaines, sachez que Tracer est homo et Symmetra est autiste.
Tout le monde peut donc s’y retrouver. “J’adore le fait que Symmetra soit canoniquement autiste, vraiment,” écrit XeernOfTheLight, dans un commentaire sur Reddit. “Il devrait y en avoir plus dans les jeux vidéo. Ce n’est pas qu’une question de représentation, je ne pense pas que les troubles en général devraient être systématiquement présents dans tous les jeux, ce serait déplacé. Mais j’aime le fait que ce personnage et représenté de manière aussi héroïque et que le joueur puisse compter dessus.”
Du MMO au FPS
Le titre doit avant tout être un jeu de tir amusant. Même s’il est issu d’un studio réputé pour ses MMO et jeux de stratégie, l’équipe d’Overwatch a développé une certaine expertise dans la conception de jeux de tir, avec Titan, qui en était un aussi.
“L’une des premières choses que nous ayons faites pour concevoir les niveaux d’Overwatch était de nous concentrer sur la distance de combat,” explique Kaplan. Les deux principaux concepteurs de niveaux, Aaron Keller et Dave Adams, ont compris la relation entre le champ de vision de la caméra et sa hauteur et vitesse de mouvement, et comment les illustrations peuvent affecter psychologiquement la vitesse de mouvement perçue par les joueurs. Ils ont réglé ces détails cruciaux dès le départ.
Grâce au fait que Blizzard fasse partie d’Activision Blizzard, les développeurs de Call of Duty, Treyarch et Infinity Ward ont pu les aider à adapter leur jeu de tir à la manette DUALSHOCK®4. “Nous leur avons demandé comment ils avaient fait ceci ou réussi à rendre cela aussi fluide, dans Black Ops. Ils ont répondu à toutes nos questions et nous ont montré comment ça se codait,” explique Kaplan.
L’héritage d’Overwatch
Dès ses débuts, Overwatch mise tout sur la confiance. N’importe quel jeu dont la bande-annonce présente un gorille parlant depuis la lune fait preuve d’un certain degré de classe.
Et le jeu a toutes les raisons de bomber le torse. Overwatch attire immédiatement des joueurs d’ordinaire peu séduits par les FPS. Desterix_452 est l’un d’entre eux. Il est le premier joueur sur PS4 à atteindre le niveau maximal dans Overwatch et est encore en tête aujourd’hui. “Je n’ai jamais vraiment joué à des FPS,” explique-t-il, préférant des jeux en monde libre comme Borderlands 2 et Gravity Rush 2. “Mais je suis tombé sur Overwatch et j’ai bien accroché sur les mécaniques des personnages.” Son personnage préféré est Lúcio, car il est versatile, mais très fiable en soutien.
Pour Cara Theobold, la popularité du jeu sur lequel elle a travaillé est une surprise, surtout lors de sa participation à la Blizzcon de 2016. “Je savais que le jeu rencontrerait du succès, mais je ne saisissais alors pas son ampleur. J’ai vu des dizaines de cosplayers et deux statues géantes de Tracer. Je me suis dit : ah ouais, quand même !”
Overwatch a ensuite été élu Jeu de l’année lors des DICE Awards et Game Developers’ Choice Awards de 2017. Cette assurance rare dont il fait preuve est bien celle du phénix, l’oiseau qui renaît de ses cendres.
Mais Kaplan n’oublie pas pour autant le passé. “Quand je me rappelle ce qui est arrivé à mon équipe, qui a traversé cette tempête puis a persévéré avec Overwatch, je suis extrêmement fier.”
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